Palidrome

Palindrome

 

Palindrome, emprunté du grec palindromos, « qui court en arrière » et dromos, 

« course » est une figure littéraire désignant un mot ou une phrase que l’on peut lire indifféremment de gauche à droite ou inversement.

 

Laurent Suchy est plasticien, Melissa Pinon est peintre. Ils répondent à l’invitation de la galerie Félix Frachon en se saisissant de ce mot pour en  jouer et le détourner le temps d’une exposition. Deux univers en apparence antagonistes se réunissent pour rendre hommage à ce lieu voué à disparaître. Par des jeux de reflets et de mises en dialogue des oeuvres, les deux artistes tentent en quelque sorte d’en déjouer le sort. 

 

La galerie ; une grande vitrine, un verre bombé à l’angle, de petites fenêtres en arcade dans lesquels se reflète notre image et la rue. A l’intérieur, deux pièces rectangulaires. On passe de l’une à l’autre par un petit étranglement. Sur le plan, elles font penser à deux gouttes qui se séparent. Quelques éléments décoratifs, moulures, renflement d’une cheminée.

 

Pour cette exposition/installation singulière, les deux artistes mettent en place les règles d’un jeu. Laurent Suchy propose une idée, Mélissa Pinon la réalise et inversement. Exposition à deux têtes et quatre mains. 

Laurent Suchy propose à Mélissa Pinon un dispositif qui consisterait à peindre le reflet d’une abstraction vu à travers un miroir circulaire. Mélissa Pinon réalise un tableau figuratif, reflet d’une abstraction.Le tableau se substitue au miroir et devient une réflexion par essence. Palindrome I, tableau-miroir est le point de départdu projet de l’exposition. Palindrome II, déclinaison du premier, réalisé à l’échelle de l’espace est une peinture de  Mélissa Pinon qui retranscrit une des abstractions de Laurent Suchy ; une peau de peinture, couche d’acrylique blanche tendue directement sur un châssis en bois

 

Passe-muraille, huile sur toile de deux mètres sur un, réalisée par Mélissa Pinon représente Laurent Suchy, le visage collé à la vitre, scrutant l’intérieur de la galerie Félix Frachon. Une partie de  la précédente exposition se superpose aux reflets de la rue. Face au tableau, le spectateur vit une expérience d’ubiquité ; il est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la galerie dans des temporalités différentes. (Telle la définition de palindrome « qui court en arrière » le temps est ici pris à rebours.)

 

En réponse à Passe-muraille Laurent Suchy propose une pièce en verre, grande plaque photosensible qui révèle au blanc de Meudon l’ombre portée des petites fenêtres en arcades et de la vitrine de la galerie. Les badigeons blancs, poudre de calcaire mélangé à de l’eau, sont appliqués sur les vitrines des boutiques en cours de transformation ou de changement de propriétaire, sans intention plastique, ils sont un geste spontané et brut. 

 

Cette pièce de verre est le négatif de la vitre recouverte de noir de fumée placée dans l’âtre de la cheminée. Elle évoque à la fois sa fonction originelle et sa future destruction. 

Imaginée par Mélissa Pinon puis réalisée par laurent Suchy, la pièce emprunte son nom à un palindrome attribué à Virgile, in girum imus nocte ecce et consomimur igni  que l’on peut traduire par Nous tournoyons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu . Il se rapporte aux papillons de nuit qui, attirés par la flamme d’une chandelle, volent et tournent autour d’elle, jusqu’a ce qu’ils soient brulés par le feu. Le jeu d’ombre et de lumière, l’attraction menant à la destruction et le jeu d’inversion est en quelque sorte une métaphore de la création artistique comme le soulève l’essayiste Albert Algoud dans son Dictionnaire amoureux de Tintin : [… ] Rien de ce qu’autrefois on nommait Arts, Lettres, Sciences ; rien de ce qui se pense, représente et présente n’est possible sans cette question originaire : et si les choses n’étaient pas comme elles paraissent ? Et si tout ce qu’on nous dit, en quoi nous crûmes, était faux ? N’était qu’illusion ? Que peut bien valoir ce que je pense ? Mais encore : qu’adviendrait-il si on inversait les perspectives et qu’on jouât en quelque sorte le jeu du palindrome ? 

 

La peinture de Laurent Suchy, Quatre couleurs de peau des personnages Playmobil est un rectangle divisé en diagonale qui se hisse tel un étendard. 

Peinture de peau/peau de peinture, le titre du tableau évoque lui même un palindrome. La peau de peinture est une matière récurrente dans le travail de Laurent Suchy ; il en recouvre des volumes géométriques, la tend directement sur des châssis de peinture, la découpe pour former des gommettes. Il l’obtient en appliquant des couches d’acrylique sur une paraffine. Après séchage, la peinture se détache du corps gras. La matière obtenue à l’aspect d’une peau élastique et douce. 

 

En face, un wall painting en noir et blanc fait écho à Quatre couleurs de peau. Deux chevaliers Playmobil, en fausse symétrie, l’un paré d’un motif en zigzag, l’autre courbe, prêtent serment, pointes d’épées levées. Mise en scène d’objets, tragédie shakespearienne résonnent sur une actualité qu’on souhaiterait plus paisible. 

 

Au dessus de la cheminée, un panneau de bois peint à l’huile, accroché sur la tranche, 1,2,3 Slackken/escargots. Gris, d’un côté, coloré de l’autre, à l’instar de certains polyptyques de la renaissance flamande qui alternaient grisaille sur les panneaux extérieur et couleur à l’intérieur. L’escargot évoque la vanité selon Daniel Arasse, l’escargot nous montre qu’il ne faut pas nous laisser prendre par l’illusion de ce que nous voyons, ne pas y croire. La preuve en est, même si leur traitement tend vers le réalisme, les trois escargots ne sont que de simples jouets en plastique.

 

Même si Mélissa Pinon et Laurent Suchy ont déjà d’autres projets pour lesquels ils poursuivront leur pratique respective, l’invitation de Félix Frachon aura ouvert le champ d’un duo le temps de cette exposition.