À propos du travail de Laurent Suchy
J’aime les légers glissements et petites perturbations qui font basculer l’histoire du côté du merveilleux, de la fiction, de l’absurde et du non-sens. Tout comme l’univers de Lewis Carroll, des petits désordres bousculent l’ordre et créent ainsi une autre logique dans la logique. Dès lors, mes réponses plastiques sont toujours à mi-chemin entre l’enfance et le monde adulte, le sérieux et le ludique, la fable et la vérité, une passerelle entre le monde onirique et ludique de l’enfance et la réalité. Je suis épris par la beauté des formes simples et des couleurs primaires de certains jouets. Leur poésie minimale, leurs thèmes fondamentaux, presque archaïques m’inspirent profondément pour mon travail.
Dans une économie de moyens et de forme, j’invente des histoires en manipulant des objets personnels (ceintures, jouets, figurines, ballons…) Mes premières recherches se sont développées par le dessin, un trait noir sur fond blanc. Ce qui est dessiné n’évoque rien d’autre que ce que l’on voit. L’objet représenté est de l’ordre de la vignette, de l’imagier d’enfant. L’objet est dessiné sous l’angle le plus compréhensible à l’instar du dessin d’une fiche technique. Mes wall paintings sont parfois accompagnés de textes, de légendes, qui créée un léger décalage, une « décharge poétique ». Le dessin est toujours le premier médium pour exprimer mon idée. Il pourra, dans un deuxième temps, se matérialiser en volume, en 3D dans une installation. Mes idées surgissent de confrontations inattendues. L’art est justement un précipité. Comme dans un laboratoire, ce qui n’adviendrait pas de soi survient par l’action d’associations inédites, hasardeuses, en vue d’inscrire mes interventions dans un espace mixte, tendu, confus, où la poésie et la légèreté frôlent l’angoisse et la fragilité.
À propos du travail de Mélissa Pinon
Ma peinture témoigne de l’acte d’observer, d’être présent devant le sujet. Voir nourrit, fabrique du matériau que j’accumule dans ma mémoire. J’ai appris en regardant, en me confrontant devant les grands peintres que j’affectionne tout particulièrement. Manet, Courbet, Chardin, Rubens, Velazquez, Delacroix, Titien, Van Eyck. Chacun m’a donné une leçon de peinture. Les copier, m’apprend à saisir leurs techniques et leurs modes de pensée. Ils m’enveloppent tout au long de l’exécution d’un tableau.
Je peux parfois résoudre un problème de composition en pensant à l’un d’entre eux. La peinture se nourrit de la peinture, Delacroix puisait ses compositions chez Rubens, qui lui-même dialoguait avec Titien.
Je peins les objets qui m’entourent, des paysages qui m’interpellent, les gens que j’aime. Ma peinture doit pouvoir rendre sensible le mode d’attention que j’ai pour mes sujets. J’isole et dispose sur fond neutre ou sombre des objets ou des corps, je les plonge dans une atmosphère mystérieuse, étrange. Parfois accompagnée d’une photographie mais le plus souvent peint d’après nature, je tente de comprendre et de donner à voir ce qui me semble juste. La peinture est pour moi avant tout une interrogation et je m’accorde à penser que chaque nouveau tableau est le fragment d’une réponse.
Le plus souvent figuratifs, mes tableaux jouent également avec l’abstraction. Je tente de désamorcer toute vaine opposition entre les deux. Il ne s’agit pas de les confronter mais de les explorer en toute liberté.
Palindrome
Palindrome, emprunté du grec palindromos, « qui court en arrière » et dromos,
« course » est une figure littéraire désignant un mot ou une phrase que l’on peut lire indifféremment de gauche à droite ou inversement.
Laurent Suchy est plasticien, Melissa Pinon est peintre. Ils répondent à l’invitation de la galerie Félix Frachon en se saisissant de ce mot pour en jouer et le détourner le temps d’une exposition. Deux univers en apparence antagonistes se réunissent pour rendre hommage à ce lieu voué à disparaître. Par des jeux de reflets et de mises en dialogue des oeuvres, les deux artistes tentent en quelque sorte d’en déjouer le sort.
La galerie ; une grande vitrine, un verre bombé à l’angle, de petites fenêtres en arcade dans lesquels se reflète notre image et la rue. A l’intérieur, deux pièces rectangulaires. On passe de l’une à l’autre par un petit étranglement. Sur le plan, elles font penser à deux gouttes qui se séparent. Quelques éléments décoratifs, moulures, renflement d’une cheminée.
Pour cette exposition/installation singulière, les deux artistes mettent en place les règles d’un jeu. Laurent Suchy propose une idée, Mélissa Pinon la réalise et inversement. Exposition à deux têtes et quatre mains.
Laurent Suchy propose à Mélissa Pinon un dispositif qui consisterait à peindre le reflet d’une abstraction vu à travers un miroir circulaire. Mélissa Pinon réalise un tableau figuratif, reflet d’une abstraction. Le tableau se substitue au miroir et devient une réflexion par essence. Palindrome I, tableau-miroir est le point de départ du projet de l’exposition. Palindrome II, déclinaison du premier, réalisé à l’échelle de l’espace est une peinture de Mélissa Pinon qui retranscrit une des abstractions de Laurent Suchy ; une peau de peinture, couche d’acrylique blanche tendue directement sur un châssis en bois
Passe-muraille, huile sur toile de deux mètres sur un, réalisée par Mélissa Pinon représente Laurent Suchy, le visage collé à la vitre, scrutant l’intérieur de la galerie Félix Frachon. Une partie de la précédente exposition se superpose aux reflets de la rue. Face au tableau, le spectateur vit une expérience d’ubiquité ; il est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la galerie dans des temporalités différentes. (Telle la définition de palindrome « qui court en arrière » le temps est ici pris à rebours.)
En réponse à Passe-muraille Laurent Suchy propose une pièce en verre, grande plaque photosensible qui révèle au blanc de Meudon l’ombre portée des petites fenêtres en arcades et de la vitrine de la galerie. Les badigeons blancs, poudre de calcaire mélangé à de l’eau, sont appliqués sur les vitrines des boutiques en cours de transformation ou de changement de propriétaire, sans intention plastique, ils sont un geste spontané et brut.
Cette pièce de verre est le négatif de la vitre recouverte de noir de fumée placée dans l’âtre de la cheminée. Elle évoque à la fois sa fonction originelle et sa future destruction.
Imaginée par Mélissa Pinon puis réalisée par laurent Suchy, la pièce emprunte son nom à un palindrome attribué à Virgile, in girum imus nocte ecce et consomimur igni que l’on peut traduire par Nous tournoyons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu . Il se rapporte aux papillons de nuit qui, attirés par la flamme d’une chandelle, volent et tournent autour d’elle, jusqu’a ce qu’ils soient brulés par le feu. Le jeu d’ombre et de lumière, l’attraction menant à la destruction et le jeu d’inversion est en quelque sorte une métaphore de la création artistique comme le soulève l’essayiste Albert Algoud dans son Dictionnaire amoureux de Tintin : [… ] Rien de ce qu’autrefois on nommait Arts, Lettres, Sciences ; rien de ce qui se pense, représente et présente n’est possible sans cette question originaire : et si les choses n’étaient pas comme elles paraissent ? Et si tout ce qu’on nous dit, en quoi nous crûmes, était faux ? N’était qu’illusion ? Que peut bien valoir ce que je pense ? Mais encore : qu’adviendrait-il si on inversait les perspectives et qu’on jouât en quelque sorte le jeu du palindrome ?
La peinture de Laurent Suchy, Quatre couleurs de peau des personnages Playmobil est un rectangle divisé en diagonale qui se hisse tel un étendard.
Peinture de peau/peau de peinture, le titre du tableau évoque lui même un palindrome. La peau de peinture est une matière récurrente dans le travail de Laurent Suchy ; il en recouvre des volumes géométriques, la tend directement sur des châssis de peinture, la découpe pour former des gommettes. Il l’obtient en appliquant des couches d’acrylique sur une paraffine. Après séchage, la peinture se détache du corps gras. La matière obtenue à l’aspect d’une peau élastique et douce.
En face, un wall painting en noir et blanc fait écho à Quatre couleurs de peau. Deux chevaliers Playmobil, en fausse symétrie, l’un paré d’un motif en zigzag, l’autre courbe, prêtent serment, pointes d’épées levées. Mise en scène d’objets, tragédie shakespearienne résonnent sur une actualité qu’on souhaiterait plus paisible.
Au dessus de la cheminée, un panneau de bois peint à l’huile, accroché sur la tranche, 1,2,3 Slackken/escargots. Gris, d’un côté, coloré de l’autre, à l’instar de certains polyptyques de la renaissance flamande qui alternaient grisaille sur les panneaux extérieur et couleur à l’intérieur. L’escargot évoque la vanité selon Daniel Arasse, l’escargot nous montre qu’il ne faut pas nous laisser prendre par l’illusion de ce que nous voyons, ne pas y croire. La preuve en est, même si leur traitement tend vers le réalisme, les trois escargots ne sont que de simples jouets en plastique.
Même si Mélissa Pinon et Laurent Suchy ont déjà d’autres projets pour lesquels ils poursuivront leur pratique respective, l’invitation de Félix Frachon aura ouvert le champ d’un duo le temps de cette exposition.
………………………………………………………………………………………………………………………………………
Titres des œuvres :
Pièces attribuées à Mélissa Pinon :
Passe muraille, huile sur toile, 200 x 100 cm
Bleu sur rouge, dessin au crayon de couleur sur calque, 50 x 70 cm
1,2,3 Slackken/escargots : huile sur bois, 46 x 27 cm
Pièces attribuées à Laurent Suchy :
White on glass, verre, blanc de Meudon, 200 x 60 cm
In girum imus nocte ecce et consomimur igni*, verre, noir de fumée, 60 x 83 cm
*Trad. Nous tournoyons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu, d’après un palindrome attribué à Virgile
Le Serment, wall painting, acrylique, dimensions variables
Fenêtre sur cour, gouaches sur papier, 2 X (50 X 70 cm)
Quatre couleurs de peau, acrylique sur toile, 50 x 35 cm
Ruban de Möbius, acrylique, coffret noir de 27 x 27 x 5 cm
Gommettes, acrylique, coffret noir de 27 x 27 x 5 cm
Ligne de flottaison, acrylique, flotteur, coffret noir de 27 x 27 x 5 cm
Marqueterie, châssis de bois, acrylique, coffret blanc de 27 x 27 x 5 cm
Pièces attribuées au duo Mélissa Pinon / Laurent Suchy :
Palindrome I, huile sur toile, ⌀ 30 cm / acrylique sur bois, 15 x 10 cm
Palindrome II, huile sur toile, 60 cm / acrylique sur châssis de bois 40 x 40 cm
Liste de prix des œuvres :
Pièces attribuées à Mélissa Pinon :
Passe muraille, huile sur toile, 200 x 100 cm / 10000 € TTC
Bleu sur rouge, dessin au crayon de couleur sur calque, 50 x 70 cm / 1600€ TTC
1,2,3 Slackken/escargots : huile sur bois, 46 x 27 cm / 5000 € TTC
Pièces attribuées à Laurent Suchy :
White on glass, verre, blanc de Meudon, 200 x 60 cm / 6000 € TTC
In girum imus nocte ecce et consomimur igni*, verre, noir de fumée, 60 x 83 cm / 3000 € TTC
*Trad. Nous tournoyons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu, d’après un palindrome attribué à Virgile
Le Serment, wall painting, acrylique, dimensions variables / 3 exp. / 6000 € TTC
Fenêtres sur cour, gouaches sur papier, 2 X (50 X 70 cm) / 4000 € TTC
Quatre couleurs de peau, acrylique sur toile, 50 x 35 cm / 4000 € TTC
Ruban de Möbius, acrylique, coffret noir de 27 x 27 x 5 cm / 1800 € TTC
Gommettes, acrylique, coffret noir de 27 x 27 x 5 cm / 1800 € TTC
Ligne de flottaison, acrylique, flotteur, coffret noir de 27 x 27 x 5 cm / 1800 € TTC
Marqueterie, châssis de bois, acrylique, coffret blanc de 27 x 27 x 5 cm / 1800 € TTC
Pièces attribuées au duo Mélissa Pinon / Laurent Suchy :
Palindrome I, huile sur toile, ⌀ 30 cm / acrylique sur bois, 15 x 10 cm / 40le00 € TTC
Palindrome II, huile sur toile, 60 cm / acrylique sur châssis de bois 40 x 40 cm / 6000 € TTC